Perspectives macroéconomiques et géopolitiques


Isabelle Mateos y Lago, Group Chief Economist, BNP Paribas

L’élection de Donald Trump en novembre dernier a entrainé un changement significatif de perspectives concernant les marchés financiers, tant aux États-Unis que dans le reste du monde. Cet article explore les raisons sous-jacentes de ce changement, les impacts potentiels sur l'économie mondiale, et les stratégies que l'Europe et d'autres économies pourraient adopter en réponse à ces défis.

Les marchés ont complètement changé de perspectives depuis l'élection de Donald Trump

Il y a eu un changement notable de sentiment, et comme toujours, la question est de savoir ce qui avait été initialement pris en compte. Pour les États-Unis, l'attente était la mise en œuvre immédiate de politiques favorables à la croissance. Au lieu de cela, nous avons assisté au déploiement des parties les moins favorables à la croissance du programme de Trump, à savoir les droits de douane, qui sont essentiellement des taxes. Ce processus est en cours et d'autres mesures sont attendues. De plus, nous avons vu des réductions des dépenses et de la main-d'œuvre fédérale, ce qui, en toute honnêteté, aurait pu être anticipé dès le départ. Cependant, beaucoup ne l'avaient pas prévu. Le déploiement de ces politiques a également conduit à une hausse de l'incertitude, ce qui est très préjudiciable à l'activité économique. Nous avons observé des signes de ralentissement prononcé des ventes au détail et de la production manufacturière, ainsi qu'une détérioration marquée de plusieurs indicateurs de confiance. Malgré cela, l'économie américaine reste robuste. Elle part en effet  d'une position solide, ce qui lui permet de décélérer tout en conservant sa force. Le marché du travail reste très vigoureux, avec un taux de chômage à un niveau historiquement bas, juste au-dessus de 4 %. La direction prise est préoccupante, et pourrait se détériorer davantage, en fonction de l'évolution de la guerre commerciale dans les semaines à venir.

L'Europe peut-elle devenir autonome en matière de défense?

La question de l'autonomie de l'Europe en matière de défense à moyen terme est cruciale. Actuellement, le vieux continent n'a pas les moyens nécessaires pour y parvenir. Cependant, Donald Trump n’a pas annoncé un retrait immédiat de l'OTAN. Le véritable sujet porte sur la direction à prendre. Nous pensons que l'Europe se donne environ cinq ans pour atteindre un niveau d'autonomie plus élevé. Cela nécessite des dépenses immédiates, ce qui rend la récente décision allemande particulièrement encourageante. Au niveau européen, et en collaboration avec le Royaume-Uni, qui joue un rôle vital dans la défense du continent, des décisions sont prises pour libérer de l'espace budgétaire et augmenter les dépenses de défense. Il y a des aspects technologiques et de capacité de production à considérer, en plus des aspects financiers. L'Europe a compté sur le parapluie de sécurité américain depuis la Seconde Guerre mondiale, et cela ne peut pas être défait en quelques semaines. Cependant, nous croyons que cela va se produire. L'Europe perçoit une menace existentielle et est déterminée à faire tout ce qu'il faut pour atteindre ce niveau d'autonomie.

Quelle stratégie l'Europe devrait-elle adopter en réponse aux tarifs douaniers de Donald Trump ?

Dans le contexte économique actuel, il est crucial de faire la distinction entre les tactiques de négociation et l’état d’équilibre optimal. En tant qu'économistes, nous savons que des droits de douane plus bas sont bénéfiques pour l'économie. Par conséquent, il est impératif d'éviter toute spirale d'escalade tarifaire. Cependant, négocier avec Donald Trump nécessite une approche différente, car il répond mieux à la force qu'à la faiblesse. Dans ce contexte, la position adoptée par l'Union européenne jusqu'à présent est appropriée. L'UE a clairement indiqué qu'elle ne souhaitait pas de droits de douane, les considérant comme une taxe sur les consommateurs et les entreprises. Cependant, si les États-Unis imposent des droits de douane, l'UE ripostera. Cette approche, bien que risquée, est nécessaire. La Commission européenne est pleinement consciente de la nécessité de minimiser les dommages auto-infligés.

Il est important de noter que le commerce avec les États-Unis ne constitue pas le principal moteur de croissance pour l'Europe, représentant moins de   10 % de son commerce total. Le principal partenaire commercial de l'UE est l’UE elle-même. Par conséquent, augmenter le commerce intra-marché unique peut facilement compenser une baisse des échanges avec les États-Unis. L'Europe a enregistré un excédent de compte courant significatif pendant des décennies, sous l’impulsion d’un modèle de croissance axé sur les exportations. À mesure que l'Europe augmente ses investissements dans les infrastructures et la défense, nous nous attendons à ce que cet excédent se réduise et s’oriente vers un modèle de croissance plus axé sur le marché intérieur. La Chine a des ambitions similaires, bien qu'il y ait des raisons d'être sceptiques quant à la rapidité de cette transition. Si les États-Unis réussissent à réduire leur déficit commercial et restent le consommateur de dernier recours, cela obligera le reste du monde à adopter un modèle de croissance plus tourné sur le marché intérieur. Ce scénario n'est pas nécessairement baissier pour l'Europe, compte tenu de son taux d'épargne élevé, ce qui permet une augmentation des dépenses de consommation si la confiance revient.

Que feront les banques centrales face à ces incertitudes ?

La Banque centrale européenne (BCE) et la Réserve fédérale (Fed) se trouvent dans des situations très différentes. La BCE est confrontée à une économie qui fonctionne en dessous de son plein potentiel et à une tendance baissière de l'inflation dans toutes ses composantes, y compris les services. Les données récentes sont encourageantes, ce qui permet à la BCE de poursuivre ses baisses de taux vers la neutralité, estimée autour de 2 %. Elle dispose de marge de manœuvre pour réduire les taux davantage, avec des réductions supplémentaires attendues au prochain trimestre. La BCE doit naviguer entre le choc négatif de la politique commerciale américaine et les représailles potentielles, contrebalancées par l'impact positif de la relance budgétaire allemande et de l'augmentation des dépenses de défense. Globalement, la BCE peut être confiante dans sa capacité à ramener l'inflation à 2 % tout en assouplissant davantage sa politique monétaire.

La Fed, en revanche, est confrontée à une inflation plus élevée et à des attentes d'inflation qui commencent à se désancrer parmi les ménages (c’est-à-dire des anticipations d’inflation plus élevées que l’inflation effectivement observée). Les mesures des attentes d'inflation restent stables, mais la Fed doit prendre en compte l'impact potentiel des prix des tarifs élevés. L'environnement économique a changé de manière significative depuis la première administration Trump, ce qui rend peu probable une réduction des taux par la Fed cette année, à moins que les dommages économiques causés par le déploiement de la politique ne conduisent à une récession et à une détérioration du marché du travail. Actuellement, les États-Unis connaissent une dynamique de stagflation, limitant la capacité de la Fed à réduire les taux dans cet environnement.